Ma révélation aux fourneaux

Je vous raconte comment je suis passée du statut de petite fille difficile à cheffe propriétaire de ma table secrète lisboète. Cette révélation est le fruit de ma reconversion, de mes voyages et de rencontres inspirantes qui au fil des années ont tout changé.




Petite, on disait de moi que j’étais compliquée. Un peu picky. Je n’aimais ni le gras, ni le gratiné, ni le beurre. Pas trop les légumes et pas trop sophistiqué. Je ne mangeais pas la viande des côtelettes d’agneau mais je rongeais les os de tout le monde.

Pendant des années je n’ai consommé essentiellement que certains aliments ultra transformés de la grande distribution : tartine de kiri et jambon sous vide, coquillette, special K au chocolat, fromages sous toutes ces formes, œufs, salade sous vide ou encore panini ou autre croque au fromage déjà transformé.

Plus tard, pendant mes années fac et durant environ un an, j’ai ingurgité des double cheese et des nuggets près de cinq fois par semaine. Nous avions en tête avec une de mes amies d’écumer tous les macdo de France.

J’étais très sportive, je faisais environ 15h de sport par semaine et cette manière de me nourrir n’a jamais eu aucun impact sur ma santé ou ma ligne.

De leur côté, ma grand-mère et ma mère ont toujours été des hôtesses exemplaires. Enfants, nous avions la chance d’être très bien nourrit par une maman qui cuisinait tous les jours. Produits frais, petits plats mijotés. Elle recevait à diner très souvent et la maison revêtait toujours des habits de fêtes. Mon souvenir préféré c’était d’avoir le droit d’assister à l’apéritif. Le samedi, c’était le jour du marché, et le dimanche celui des déjeuners en famille. Blanquette de veau, paleron de boeuf aux carottes, épaule d’agneau confite, gigot d’agneau et flagolet, gratin dauphinois et j’en passe.

Très souvent les dimanches, nous nous rendions chez mes grands-parents maternels pour profiter de la famille et de leur propriété magnifique. J’ai un souvenirs de tablée géante, de banquets. C’est là-bas que je garde mes souvenirs d’enfance les plus heureux. Ma grand-mère nous envoyait chercher des framboises avec nos pots de faisselle de Rians. Le temps de revenir du verger nous avions tout mangé. C’était l’abondance sous sa forme la plus pure. Plus grande, j’ai rencontré mon ex-mari qui, avant de se professionnaliser, m’enchantait déjà avec ses bons plats de gibiers au retour de ses chasses. Le premier légume qui m’a fait chavirer : un navet braisé au beurre.

La bonne cuisine, les bons produits, la connaissance du terroir ont toujours été présent. C’est moi qui choisissait la facilité, l’efficacité, la rapidité. 

Mais j’ai toujours été fascinée par les dîners. Penser au menu, faire le marché, cuisiner puis mettre la table. Préparer l’apéritif, allumer les bougies pour que tout soit beau, accueillant quand les invités arrivent.


C’est en changeant de vie que j’ai eu aussi envie de mieux me nourrir. J’ai d’abord regardé de nombreuses vidéos TED sur la food et la green attitude. Puis j’ai multiplié les emissions de voyage culinaire. Je me suis posée de nombreuses questions sur la possibilité de vraiment faire changer les choses. Initialement, nous avions eu l’idée de créer un restaurant autosuffisant, tourné vers le développement durable et sans sur-consommation. Limiter les pertes et les déchets.

Depuis plusieurs années, je me suis beaucoup remis en question. Pourquoi mieux manger est important ? Comment mieux manger apporte une meilleure qualité de vie ? Que trouve-t-on dans nos assiettes ? Est-ce que nous devenons ce que nous consommons? De quoi sont fait les produits du quotidien et notamment ceux que l’on trouve dans la grande consommation ? Le bio est il la réponse ? Le commerce équitable l’est il vraiment ? Faut-il arrêter la viande? le beurre? le gluten? Faut-il devenir végétarien pour des raisons politiques? Vegan pour des raisons écologiques?

J’ai longtemps considéré que le bio c’était plutot de la foutaise. Et je continue à penser qu’une bonne partie de l’industrie agroalimentaire s’enrichit sous un label Bio assez difficile à comprendre. Mais je dois reconnaître que l’idée a fait son chemin et que depuis j’ai fait évolué mon avis.

Enfin, ce que je privilégie surtout ce sont les circuits courts. Les petits commerçants. L’humain. Que vous me retrouviez au marché de Beato, du 31 de janeiro ou de Ribeira, mes commerçants sont ma famille. Ils connaissent la mienne depuis mon arrivée à Lisbonne. Je leur confie mes envies, mes besoins, mes peines et nous échangeons avec profondeur. Nous nous prenons dans les bras et partageons avec sincérité notre amour pour le terroir. Ce lien est essentiel dans le processus créatif que j’ai mis en place, mais également dans ma façon de cuisiner. Sans cette étape primordiale, pas de cuisine.

En lieu et place du restaurant familiale, j’ai finalement divorcée. Et si pendant deux ans, j’ai pris le temps de me remettre de cette rupture, c’est en 2021 que j’ai démarré A Ilegítima.

Comme son nom l’indique, je me sentais totalement illégitime dans cette nouvelle vie. Peut-être vous le savez, je me suis formée comme avocate. Très très loin du monde de la restauration. Je n’avais jamais tenu de cuisine et si j’avais bien sur réalisé des centaines d’évènements depuis la création de notre traiteur Maison Legrand en 2015, je n’avais jamais vraiment cuisiné en tant que cheffe. Et puis surtout, je me répétais constamment que la cuisine c’était pas pour moi. Flemme viscérale de m’attarder derrière les fourneaux.

Pourtant, en janvier de cette même année, mon ami Henrique me lance sans le savoir un défi : “tu sais ce projet c’est le tien et tu cuisines divinement bien alors pourquoi tu ne l’ouvres pas ce restaurant?”

A l’époque je me revois les quatre fers en l’air, refusant de voir ce qui pourtant était sous mon nez depuis bien longtemps. En me lançant cette phrase anodine, il a provoqué en moi la fièvre du challenge. Celle à laquelle je succombe si fréquemment. Avec son aide, j’allais lancer ma table confidentielle.

Henrique c’est le génial fondateur du vintage shop Mid-Mod à Lisbonne. C’est grâce à lui qu’A Ilegítima a pris vie. D’abord avec ces rideaux sooo 70’s que j’adore et qui donne au lieu un air si intime et funky, puis grâce aux pièces design et divers luminaires emblématiques qui changent régulièrement. Grâce à lui, mon lieu de vie est constamment en mouvement, comme moi. On réorganise l’espace tout le temps.

Depuis 18 mois, j’ai évolué en prenant mon temps. Ma cuisine est une cuisine simple, de produits de bonne qualité. Passionnée par les épices, j’en ai du monde entier. Je mélange les textures, les couleurs, les saveurs. Je me suis peu à peu rapprochée d’une cuisine nourricière et bonne pour la santé. Très végétarienne, mais aussi de plus en plus vegan. Je n’ai ni recette, ni timer, ni fiches techniques. Je laisse aller mes sens et mon intuition à chaque instant.

Ce que j’ai compris c’est qu’en restant simple on peut faire une cuisine sophistiquée. Mais c’est en travaillant avec amour les produits, en dansant, en chantant, en vibrant une énergie créatrice et positive qu’on leur redonne vie. Je leur parle. Je pleurs, je ris. Quand je suis en cuisine je plonge dans mon monde, je crée, je suis concentrée, attentive. C’est un état méditatif qui me guérit. Une véritable thérapie du corps et de l’esprit.

Je vois mes légumes comme une palette de couleurs. D’ailleurs je rapproche souvent mon travail à celui du peintre et parle de mes plats comme des tableaux. Je cois que c’est aussi pour ça que l’évidence de collaborer avec des artistes chaque mois c’est imposée depuis le début.


Mes inspirations sont : Ottolenghi, Lenôtre, Camdeborde, Nancy Singleton Hachisu et son génial Japon, Lili Barbery, Angele Ferreux-Maeght et puis bien sur le monde qui m’entoure.

Vous l’aurez compris, j’ai une personnalité complexe qui a besoin de se nourrir à plusieurs niveau en simultané. Si pendant un an, j’ai appris la discipline : créer des menus, gérer les courses et les quantités, m’organiser, ranger, me mettre en place, il est vite devenu insuffisant de seulement cuisiner. Il fallait bien intégrer une dimension psychologique et émotionnelle à mes dîners.

Depuis Octobre, j’ai demarré Erotica. Une experience sensorielle et érotique où j’emmene mon public à la redécouverte de leur corps, de leur sensualité. Pendant deux heures, je nourris mes invités de poèmes, de discussions, de plats gourmets. Je les invite à déguster autrement, de manière insolites. Je fais entrer le jeu dans l’expérience. Pour çà, j’entre moi-même dans un scénario que je crée de tout pièce. Je trouve l’inspiration dans mes fantasmes et je les alchimise dans mes expériences. Pour notre chapitre 1 : l’art du fouet, nous avons joué avec des dégustations à l'aveugle, fouettant, fessant, caressant, giflant et goûtant ensemble au plaisir de la chair.

Depuis plusieurs semaines, nous travaillons sur le chapitre 2 : L’art de l’attachement - Déconstruire notre peur du lien dans les relations humaines. Alors, pour cette édition j’ai plongé tout entière dans le japon. Je travaille avec une artiste Shibari pour montrer le pouvoir et les limites de l’attachement et faire découvrir cet art qui me fascine.

La nourriture est un moyen unique et puissant de nous reconnecter à nos sensations : la vue, l’odorat, le goût, le toucher et de le partager avec l’autre.

La cuisine est un acte d’amour qui peut changer le monde et j’en ai fait mon outil principale dans ma mission de vie.

Je vous embrasse,

Anne













 

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