Matrescence & maladie mentale

“À mesure que l'enfant grandit, la mère s'attache à lui par tous les liens qui peuvent unir une âme à une autre. Elle l'aime pour les grâces qu'il a réellement, et pour celles qu'elle lui suppose ; elle l'aime pour le bonheur qu'il lui donne, et pour les soins et pour les peines qu'il lui a coûtés ; elle l'aime quelquefois pour ses défauts, ou pour ses souffrances” - Jules Simon

 

Depuis 6 ans qu’Archibald est entré dans ma vie rien n’a jamais été facile et pourtant nous avançons avec un naturel déconcertant. Une complicité qui grandit de jour en jour. Il me fait confiance autant que je me rends à son intelligence et sa douceur.

De ma grossesse étouffée, mon accouchement traumatique à mes 8 mois d’allaitement et ce lien si fort que nous avons créé en passant par mon nouveau rôle (choisie) de solo Mum, je vis cette aventure de la maternité comme une épopée céleste dont je ne contrôle que très rarement les tenants et les aboutissants.  

Maman a mi-temps 

Je suis une femme profondément libre et devenir maman a chamboulé fondamentalement cet état. Aujourd’hui je n’ai pas peur de dire que je me sens chanceuse de vivre la garde alternée. J’aime m’occuper de lui en pleine conscience, en profitant de lui à chaque seconde quand il est là. Je mesure chaque “semaine papa” le vide et le manque de son absence mais la chance que j’ai de pouvoir vivre ma liberté, mon indépendance, ma vie de femme.

Aujourd’hui, je le sais, je ne pourrais pas être maman H24. J’ai besoin de périodes de silence. De solitude. Pour pouvoir me recharger. Pour reposer mon âme. 

Bien sûr, il souffre de cette situation mais finalement moins que des tensions qu’il subissait avant. Aujourd’hui, je le vois grandir, s’épanouir de jour en jour. Il m’émeut, il m’apprend, il m’apaise autant qu’il me heurte et me challenge. Rien n’est jamais aisé dans le monde des hypersensibles. J’apprivoise sa lucidité déconcertante autant que je lui apprends à lâcher prise, à vivre la palette de ses émotions sans gêne ni retenue.

Parfois, je sens qu’il m’en veut de le quitter. Parfois nous pleurons ensemble. Souvent nous rions à gorge déployée. Nous nous créons notre réalité et bientôt il comprendra que le plus beau cadeau que je puisse lui faire c’est de poursuivre mes rêves, mon intuition et de croire en moi.

Matrescence

Je viens de familles nombreuses et j’ai toute ma vie entendue dire que les familles de 4 enfants c’était l’idéal. La perfection. L’enfant unique c’était un acte égoïste. Deux enfants représentaient la famille parfaitement chiante. Trois était un chiffre toujours compliqué. Alors que quatre c’était le graal. La promesse d’une famille unie et vivante. Alors, du plus loin que je m’en souviens, j’ai toujours voulu avoir une famille. Et qui plus est nombreuse. Suivre le modèle pour moi aussi avoir la chance de.

Mais je n’ai jamais été obsédée par la maternité. Devenir maman n’a jamais été ancrée en moi comme un désir profond. Je ne fais pas partie de celles qui pensent qu’être mère est innée. Qui attendent ça depuis l’enfance comme une consécration.

Pour moi être maman c’est un rôle de plus dans ma vie, mais certainement pas une fin en soi. J’ai un besoin viscéral de voyages, de découvertes, d’apprentissages, d’aventures et si ce rôle est une bénédiction, je ne pourrais pas me cantonner à celui-ci pour mon épanouissement. 

Finalement, les familles nombreuses m’ont toujours fait peur. J’ai toujours trouvé difficile de grandir et trouver sa place dans une grande fratrie. De construire son identité, son individualité. Et puis, si je suis complètement honnête, sans trop savoir pourquoi, j’ai toujours fantasmé, en secret inavouable, à l’idée d’avoir des enfants avec des hommes différents.

En 2016, alors que je viens de m’installer à Lisbonne, j’ai 28 ans, je suis mariée en couple depuis 6 ans, j’ai voyagé et je suis émancipée et c’est donc l’étape qui semble logique. L’étape d’après.

Pourtant rien ne s’est passé comme je l’avais imaginé, fantasmé dans mes rêves les plus fous. Depuis l’annonce jusqu’à la naissance, je me suis soudainement retrouvée en mode de survie.

Une grossesse traumatisante

Cette grossesse je l’ai souhaitée, nous l’avons souhaité. Sincèrement désirée. Mais je ne l’ai pas accueillie. Ni préparée d’ailleurs. Je n’ai lu aucun livre. Je ne me suis pas créé de cocon et n’en ai d’ailleurs pas préparé pour lui.

A l’époque, Bliss Podcast n’existe pas, on ne parle pas de l’accouchement, ni du postpartum. Les cercles de femmes autour de ce sujet ne fleurissent pas encore. L’ère de la vulgarisation de la grossesse n’a pas vraiment démarrée. Il y a encore cette idéalisation malsaine que la grossesse c’est forcément merveilleux. Et ce secret de polichinelle autour de l’accouchement. On ne parle de rien. Tout est mis sous silence.  

Dès la première seconde, la réaction de mon ex-mari a donné le ton. Je suis tombée enceinte du premier coup. Et après 3 tests de grossesse positif, je me souviens de lui partager la nouvelle avec joie un dimanche de février. Il est heureux et nous décidons de célébrer cette journée ensoleillée à la plage. Nous rencontrons un jeune couple de français qu’il décide d’inviter ensuite à la maison pour un apéro. Ce soir-là, il finira par congédier nos guests, ivre mort, à près d’une heure du matin. Je vais commencer ma grossesse par une dispute sans précédent. Rentrer dans une colère. Douter. Me demander si nous avons bien fait. Puis Réaliser aussi que le simple fait d’avoir hurler et pleurer affecte déjà mon bébé. Culpabiliser.

Bienvenue dans le monde merveilleux de la grossesse.

À ce moment, je comprends que je suis seule. Que mon couple n’est pas aussi solide que ce que je veux bien l’admettre. Nous souffrons d’un manque de communication profond que je semble être la seule à subir. D’être incomprise. Laissée pour compte. Il me faudra affronter, seule, les peurs, les questionnements, les doutes de ce chamboulement qui arrive.  

Les premiers mois je n’ai pris aucun kilo. Je bossais comme une folle et racontais à qui veut l’entendre que je n’étais pas malade. J’ai fait comme si de rien était. Mon tempérament de fonceuse a évidemment bien aidé et j’ai remonté mes manches sans broncher. Nous avons continué les évènements et à recevoir dans notre appartement nos clients Airbnb.

On m’a d’abord prédit une fille. Mais je me souviens de la joie immense qui m’a traversé le cœur quand j’ai su que c’était un garçon. Jusque-là tout allait plutôt bien.

C’est en Août, à 6 mois et demi de grossesse tout s’est soudainement écroulé. Archibald ne grandit plus. J’ai été instantanément confronté à la froideur de l’hôpital et à la brutalité des décisions qui sont tombées les unes après les autres. Je me souviendrais toute ma vie de cette phrase laconique lancée par le chef de service de l’hôpital de Gassin : il y a un problème mademoiselle, à moins que votre mari soit minuscule, il y a fort à suspecter que votre enfant soit nain. Violence.

En quelques jours ma grossesse est devenue à risque. Mais c’est à l’écho du 3ème trimestre que tout a basculé.

J’ai dû réaliser une amniocentèse, en urgence, à 7 mois de grossesse, avec pour risque principal de déclencher l’accouchement dans l’heure qui suit. Ce jour-là c’est mon père qui est à mes côtés, pas mon mari, resté à Lisbonne.

Monitoring quotidien pour surveiller le cœur du bébé. Echo tous les 3 jours pour mesurer les percentiles. Attendre les résultats génétiques les 4 semaines qui ont suivi tout en espérant qu’il n’ait rien. Évidemment, en parallèle de ce climat traumatisant, on a commencé à parler de nanisme, de maladies génétiques, d’interruptions médicalisée de grossesse. Depuis le 7 septembre jusqu’au 5 novembre, je n’ai fait que pleurer.

Violences obstétricales et accouchement surreel

Mon accouchement sera finalement déclenché au bout de 8 mois et demi. Là, c’est un autre monde qui s’ouvre à moi. Celui des violences obstétricales répétées. Après deux décollements manuels de membranes infructueux. Des mains de boucher qui viennent vous pénétrer sans explication, sans douceur. Nous programmons l’arrivée d’Archibald juste après le week-end du 1er novembre. Ma préparation à l’accouchement est sommaire. Je me fais enfoncer deux tampons de gel qui libéreront la prostaglandine et l’occytocine nécessaire au déclenchement de fausses contractions et l’ouverture du col. Je rentre à l’hôpital le 3 novembre dans la matinée à 8H00, Archibald n’arrivera que 48h plus tard.

J’ai choisi d’être accouchée par le Professeur et chef de service de l’Hôpital Foch à Suresnes car il est réputé pour ne pratiquer d’épisiotomie qu’en cas d’extrême nécessité. Pour moi c’est un point fondamental.

Je me souviens de ma chambre avec vue sur la tour Eiffel. De l’appréhension et la souffrance émotionnelle dans laquelle je me trouve de ne pas savoir si Archibald sera ou non en bonne santé. Pendant que le défilé des pénétrations vaginales commence, mon mari reçoit ses copains en bas de l’Hôpital.

Mes contractions se font plus rapprochées et extrêmement douloureuses. Le problème c’est que mon col ne s’ouvre que très peu. A 21h, je pars en salle d’accouchement. Je me rappelle le froid glacial. Et la solitude.

Cette nuit-là, je demande à 6cm d’ouverture de mon col, la dose autorisée de la péridurale. Cette nuit-là, je vais passer les 10 heures suivantes dans des souffrances aigües, à tout ressentir dans les moindres détails.

Nous ne l’apprendrons que le matin suivant mais, cette nuit-là justement, le lot des péridurales utilisées est défectueux et aucune ne fonctionnera. Le staff est débordé à gérer 4 césariennes d’urgence réalisées sur des mamans de jumeaux.

Alors la jeune fille en excellente santé du bloc n2 n’est pas vraiment une priorité.

De cette nuit-là, je me souviens de la solitude qui m’envahit si souvent dans mon mariage. De la froideur. De l’incapacité de mon mari à accompagner émotionnellement ma détresse.

Au petit matin, je suis épuisée. Terrorisée. Je souffre le martyr. Et quand le nouvel anesthésiste vient prendre le relais sur celui de la nuit, il lit dans mes yeux l’affliction. La fatigue. L’angoisse. En injectant une dose de fentanyl, dérivé de morphine, il va me libérer de cette nuit noire.  

Je sens comme un vent de panique. S’il atterrira sur mon cœur une demi seconde le temps d’immortaliser ce moment, il est mis dans une boite en un temps record. L’équipe pédiatrique de néonat a pris le relai. Là encore tout va très vite

Ensuite, tout s’est passé très vite, je suis totalement défoncée, littéralement en train de planer. Je n’ai qu’une envie c’est de m’endormir. Le temps presse car le rythme cardiaque d’Archibald commence à chuter. Je dois pousser alors même que je ne sens plus aucune sensation.

Archibald va finalement arriver à 10H45 avec 46 cm et 2 kg 600. Un tout petit, petit format. Il est bleu, il ne crie pas mais miaule. Dans sa descente il a avalé du liquide amniotique. Je sens comme un vent de panique. S’il atterrira sur mon cœur une demi seconde le temps d’immortaliser ce moment, il est mis dans une boite en un temps record. L’équipe pédiatrique de néonat a pris le relai. Là encore tout va très vite.

Je me réveille 4 heures plus tard. Seule dans une sorte d’entre deux salles. Je ne sais pas où est mon fils. S’il est en bonne santé. Je ne sais pas où est mon mari. Je vais hurler pendant près d’une heure avant de finalement les retrouver dans le service spécialisé néonatale.  

Archibald est recouvert de tubes respiratoires. C’est impressionnant. Nous allons y rester 5 jours avec visites limitées.

Il prend le sein parfaitement, grossi dès le premier jour. Quant à moi, passé l’effet des drogues, je me réveille en pleine forme, je suis debout dans l’après-midi. Dans l’avalanche d’épisodes traumatisants, mon accoucheur a tenu sa promesse. Je suis intacte.

Ma machine infernale s’est remise en route. J’enclenche ce mode de survie que je connais si bien. J’entre dans une phase d’euphorie. Tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Mon enfant est en très bonne santé, moi aussi. Je n’ai évidemment pas le droit de me plaindre. Pas le temps de parler de ces 9 derniers mois. Maintenant je suis maman. Au boulot !

La gestion chaotique de mon post-partum

J’entre dans mon rôle de maman avec un naturel déconcertant. Tout est évidant et facile. Nous allons l’emmener partout avec nous. Pas de poussette. Pas d’arbre à biberons. Pas de babycook. Pas de sac à langer. Pas de lingettes. Chez moi tout est détente. Nature. Je me balade avec des couches dans les poches arrières de mes jeans et je le change absolument partout. Pareille pour l’allaitement. Je vais dégainer mes seins dans les lieux publiques, chez mes clients, sur mes events. Archibald est parti intégrante de notre vie trépidante qui recommence de plus belle.

Je reprendrais d’ailleurs le travail trois semaine après mon accouchement. Ce soir là, il sera avec moi sur l’évènement.

Malgré les réticences des médecins, liés à son état, je vais l’allaiter pendant 8 mois et Archibald va avoir une croissance extraordinaire. Je ne retournerais presque jamais chez les pédiatres ou à l’hôpital. Je vais avoir une confiance aveugle dans le fait que mon enfant est en bonne santé et qu’il poussera à son rythme.

Pendant cette période, je ne vais jamais rencontrer de psychologues pour mettre des mots sur ce qu’il vient de se passer.

Pourtant cette grossesse, je le sais aujourd’hui, marque le point de départ d’une longue et éprouvante dépression post-partum qui durera près de 4 ans. Alors, que les gens me demande régulièrement pourquoi nous ne faisons pas le deuxième, je ne veux plus jamais entendre parler de grossesse.

En 2019, mon fils a deux ans et demi quand je décide subitement de quitter mon mari. Ce sont en fait des mois de souffrances traversés seule qui précipitent cette décision. Je le sens au plus profond de mon être, pour me sauver, je dois partir.

A l’époque, je ne le sais pas encore mais je suis atteinte de deux maladies mentales qui handicapent ma vie depuis toujours.

Être maman, borderline et bipolaire, n’est pas facile. J’ai peur de lui avoir transmis mes troubles, mes angoisses, mon vide. J’ai peur de ne pas faire correctement. Parfois, j’ai peur de moi. De ce que je serais capable de faire si je me perdais trop longtemps dans mes pensées sombres. Mais c’est aussi une vie d’aventures fantasques, d’imprévus constants, de camping sauvages, parfois dans notre voiture, de roadtrip partout dans le Portugal, de joie. De déguisements. De vie en Technicolor.

La gestion du quotidien est chaotique. Les aventures rarement organisées. Gérer la maison, les repas me demande souvent des efforts surhumains. Parfois, nous restons au lit toute la journée ensemble. En avril 2020, quand le Covid débarque dans nos vies, je pleurs chaque jours, sans raison. Je suis à bout. Je voudrais juste dormir. Me reposer. Fermer les yeux et ne plus avoir a gérer la, les vies qui m’entourent.

Archibald, lui, est confiant. Il prend mon téléphone et me demande doucement mais avec insistance d’appeler Manou et Dadou, mes parents. Il a trois ans et demi.

Archibald c’est mon Ange gardien. Mon audacieux, mon courageux. Celui qui m’a sauvé la vie. M’a métamorphosée. M’a obligé à repenser mes prises de risques. Mes conduites dangereuses répétées. Mes addictions. Avec lui j’ai appris l’amour inconditionnel. J’ai appris la responsabilité. L’humilité. Avec lui, je peux exprimer mon amour sans limite et il le reçoit et me le rend dans toute son intensité. Il m’accepte comme je suis. Dans mes ups et dans mes downs. Avec douceur. Souvent, il me regarde, prend mes joues entre ses mains et me dit « respire maman, respire ». Pourtant, il ne sait rien. Mais évidemment, il sent tout.

Alors, depuis un an, fatiguée de mes phases maniaco-dépressive, fatiguée par cette vie à 1000 à l’heure, toujours sur le fil du rasoir, j’ai décidé de profondément changer. De trouver des solutions pérennes et durables pour apaiser mon mal être. Pour lui offrir une vie plus stable. Pour qu’enfin on goûte à la sérénité. A l’apaisement.

Le monde de la parentalité et la maternité n’est pas linéaire. Il évolue avec nous. Il nous apprend l’indulgence. Envers nos parents et envers nous-même. C’est en devenant maman que j’ai pu pardonner à mes parents. Et c’est en partageant mon histoire que je peux désormais me pardonner. Des ratés, des débuts difficiles, des crises à répétition, de la culpabilité. De la honte venue si souvent me ronger.

Partager avec vous mon histoire c’est la digérer. La libérer. Pour enfin la laisser partir. J’ai souffert, beaucoup, mais ce sont ces épreuves qui m’ont amené aujourd’hui à être la femme que je suis : fière de la maman, de l’entrepreneure, de la femme que je suis devenue. Fière des valeurs que je transmets à mon fils.

Alors aujourd’hui, enfin, je crois que je peux le concevoir : un autre enfant? Pourquoi pas, si le temps et les circonstances me le permettent une seconde fois.

 Je vous embrasse,

 

Anne

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